
Le goût : un plaisir fragile sous surveillance bucco-dentaire
Introduction : un sens sous-estimé
Définition : c’est un de nos 5 sens grâce auquel l’être humain perçoit les saveurs des aliments .
C’est aussi une perception immédiate au niveau du ressenti sur la langue et il se définit comme notre capacité à détecter les cinq saveurs : sucré, salé, amer, acide et umami .
Le goût est une porte d’entrée vers le monde qui nous entoure. Il ne se contente pas de signaler si un aliment est agréable ou non : il influence nos émotions, façonne nos souvenirs et guide nos comportements alimentaires.
Et si votre bouche était la gardienne de votre plaisir de manger ?

1. Anatomie du goût : ce que vos papilles ne vous disent pas
a/ la langue:
La langue est un organe situé dans la cavité buccale, qui sert à la mastication, à la phonation et à la déglutition. C’est aussi l’organe du goût. On sent le goût des aliments grâce à nos papilles, de minuscules boules que nous avons sur la langue et à l’intérieur de chaque papille se trouvent les bourgeons du goût capables de reconnaître les goûts sucrés, salés, amer ou acide et d’envoyer ces informations à notre cerveau.Sans la langue point de goût !
A la naissance nous possédons environ 10 000 papilles mais à l’âge adulte nous n’en avons plus que 5 000 à 8000.Les papilles gustatives se renouvellent durant toute notre vie, elles ont une durée de vie de 8 à 10 de jours.
Ces saveurs citées proviennent de molécules contenues dans l’aliment, qui se libèrent avec la mastication et se dissolvent dans la salive. Chargée de ces informations, la salive entre en contact avec les papilles gustatives de la langue, constituées de bourgeons gustatifs. Ces bourgeons contiennent des récepteurs spécialisés pour chaque saveur, qui détectent des composés présents dans l’aliment (composés sapides) puis envoient des signaux nerveux spécifiques au cerveau. Mais ces récepteurs transmettent des informations bien délimitées. « Si vous n’étiez qu’une langue, vous ne pourriez pas caractériser une tomate, un poulet… Vous sauriez uniquement si c’est plus ou moins acide ou salé par exemple », explique Carole Prost, professeure à l’Oniris et spécialiste de l’analyse des composés volatiles et/ou odorants.
La gustation, en tant que détection des saveurs par la langue, n’est qu’un paramètre de ce qu’il se passe quand on goûte un aliment.

b/ L’importance de la salive dans la perception du goût.
Si nous ne ressentons pas tous la même chose en mangeant un aliment, c’est en partie parce que nous ne salivons pas tous de la même façon ! La salive est un fluide biologique composé d’eau, d’ions et de protéines, dont la composition varie beaucoup d’un individu à l’autre. Lorsque les aliments sont mis en bouche, ils sont rapidement imprégnés de salive ou dilués dans celle-ci. Des chercheurs ont montré que sous l’influence des protéines salivaires, certaines molécules d’arômes (mais pas toutes) se transforment en de nouveaux composés, eux-aussi potentiellement aromatiques. Les résultats ont également révélé des variations entre les salives provenant de différents individus : la transformation des molécules d’arôme en nouveaux composés dépend de la concentration en protéines ainsi que du pouvoir antioxydant de chaque salive. De quoi vous mettre l’eau à la bouche !
Une bouche sèche ou une inflammation gingivale altère directement le goût.
Pour diagnostiquer toutes les ans des femmes atteintes du syndrome de Gougerot ( https://www.snfmi.org/content/gougerot-sjogren-syndrome-de )qui est une maladie auto-immune responsable d’une sécheresse des glandes salivaires lacrymales , je sais combien il est difficile d’avoir une bouche sèche et de perdre une grand partie du goût et d’un plaisir de la vie.
2. Santé bucco-dentaire et altération du goût : une réalité méconnue
Dans le domaine de la bouche , certaines pathologies ou états modifient le goût :
- Infections buccales, gingivites, parodontites
- Caries profondes
- Prothèses mal adaptées
- Médicaments (antibiotiques, antihypertenseurs, etc.)
- Sécheresse buccale (liée à l’âge, traitements ou stress,maladie auto-immune )
Conseil :
« Si vous sentez un goût métallique, amer, ou si les aliments vous semblent fades sans raison, pensez à consulter votre dentiste ! »

3. Le goût comme allié santé
- Mieux on sent le goût, mieux on mange équilibré (meilleure perception des saveurs naturelles, moins de sucre et de sel ajouté).
- Le goût influence la satiété → impact indirect sur le poids et les habitudes alimentaires.
- Le sucre alimente les bactéries → caries
- L’acidité (citron, soda, etc.) fragilise l’émail → érosion dentaire
- Les aliments collants (bonbons, gâteaux, céréales pour enfants) se fixent aux dents → prolifération bactérienne
- Le grignotage fréquent sucré (même de fruits) → baisse du pH salivaire + pas de temps de récupération pour l’émail
- Une alimentation riche en sucre → déséquilibre du microbiote → prolifération de germes pathogènes
- Certains goûts (umami, épices) qui stimulent la salivation → effet protecteur

Lien santé : une bouche saine permet un meilleur équilibre alimentaire, donc un meilleur état de santé général.Manger avec plaisir, oui, mais en conscience : alterner les textures, boire de l’eau après les repas, éviter les sucres cachés .
4. Comment préserver son goût ? Conseils concrets de dentiste
Liste claire et pratico-pratique :
- Brossez dents 2x/jour minimum et une fois la langue avec un grattoir adapté
- Hydratation +++ (salive = transporteur de goût) avec eau,infusions,thés
- Soins réguliers (détartrage, vérification de l’état gingival)
- Attention aux bains de bouche trop agressifs ou anti-septiques pendant trop de temps
- Arrêt du tabac (facteur majeur de perte du goût !)
- Adapter les prothèses pour ne pas masquer les papilles du palais
- Les aliments trop salés peuvent irriter les gencives
- Les plats très acides ( boissons énergétiques) participent à la déminéralisation de l’émail. Rincer sa bouche à l’eau après un repas très acide, ou attendre 30 min avant de se brosser les dents (éviter l’abrasion de l’émail fragilisé).

5. Le goût chez les enfants, les seniors… et les patients
Nous sommes responsables en tant que parent de l’éducation du goût chez l’enfant et de son hygiène bucco-dentaire , en montrant l’exemple.
Chez les personnes âgées ,il y a une perte de goût → impact sur la nutrition et la santé. Lorsque nous vieillissons, nos capacités à percevoir une odeur ou une saveur diminuent. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde ! A partir de tests gustatifs réalisés auprès de 559 personnes de plus de 65 ans, une étude montre que 43 % d’entre elles présentent des capacités olfactives et gustatives relativement bonnes alors que 33% voient ces capacités décliner.
Chez les patients ayant subi des traitements lourds (chimiothérapie, radiothérapie ORL) ou avec la maladie d’Alzheimer ,il peut y avoir une diminution ou perte de goût partielle ou totale ou une modification avec goût métallique.
6. En conclusion : la bouche, interface entre santé et plaisir
Un message positif :
Un beau sourire, c’est bien. Un sourire qui savoure, c’est mieux. En tant que chirurgien-dentiste, je veille aussi à votre plaisir de manger, de vivre et de ressentir pleinement les saveurs du quotidien.
Bonus
- Mini quiz : “Savez-vous ce qui influence le goût ?” le nez ? La vue ? Le cerveau ? La couleur ? Le cadre et/ou le moment ? Les personnes qui nous accompagnent ? La réponse est oui à tous ces éléments. Voir les explications en dessous
- Lien vers un outil de détection de bouche sèche : https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/secheresse-bouche/consultation-traitement
Le nez
- Le goût est un sens au même titre que les 4 autres mais il est directement associé à l’odorat. Bien que les deux sens soient totalement distincts, l’odorat renforce le goût. Lorsque nous mangeons l’odeur des aliments remontent vers le nez par le fond de la gorge, renforçant ainsi leur goût. La meilleure preuve est de se boucher le nez en mangeant ou de manger en étant enrhumé : tous les aliments semblent avoir le même goût.
- Une partie essentielle du goût provient en réalité des odeurs. « L’olfaction, c’est environ les trois quarts de notre perception des aliments. En la supprimant, on a du mal à faire la différence entre une soupe de poisson et une soupe de carottes qui, en termes de saveurs, sont assez proches », estime Loïc Briand. De nombreux composés volatils vont activer des récepteurs différents et compléter l’expérience du goût, un message parfois contre-intuitif, estime la chercheuse INRAE Charlotte Sinding, spécialiste de la flaveur. « Même si on a l’impression de comprendre, c’est extrêmement dur de se rendre compte à quel point c’est bien l’odorat qui participe à notre perception des aliments. »
- À tel point que lors de la crise de Covid-19, « tout le monde disait avoir perdu le goût, alors que c’est principalement l’odorat qui a été touché par le virus », constate Loïc Briand.
- Les molécules odorantes contenues dans les aliments passent par le nez, c’est la voie orthonasale, et d’autres passent directement par la bouche pour se fixer à l’arrière du nez, sur des récepteurs. Il s’agit de la voie rétronasale. On ne parle plus ici d’odeurs, mais d’arômes. Et la façon dont on les perçoit varie beaucoup d’une personne à l’autre. « Si on a tous plus ou moins une perception très proche du salé, du sucré et des autres saveurs comme l’amer et l’umami, c’est très différent pour l’odorat. La partie aromatique fait appel à plus de 400 gènes codants, contre seulement 15 pour les saveurs. L’odorat met en jeu le nombre de gènes le plus diversifié de notre corps – après la réponse immunitaire qui permet de s’adapter, de survivre », note Carole Prost. Et parmi ces gènes codants, ce ne sont pas les mêmes gènes qui s’expriment pour tout le monde : chaque personne possède sa propre sensibilité, en lien avec son potentiel génétique. «
- Ces différences de perception expliquent en partie pourquoi nos préférences alimentaires varient : par exemple certains adorent la coriandre, tandis que d’autres lui trouvent un goût de savon. Outre ces différences génétiques, la concentration même d’une molécule peut complètement changer notre ressenti : une molécule odorante peut être perçue comme agréable ou désagréable selon sa concentration, et peut même être décrite différemment.
- En plus de ces grandes variations dans la perception, la façon dont les composés aromatiques se libèrent est aussi influencée par d’autres facteurs, comme la composition, la texture ou la température des aliments, précise la chercheuse.
Source : https://www.inrae.fr/dossiers/donner-du-sens-au-gout/gout-sens-complexe - L’ajout de certaines molécules d’arômes dans les aliments nous les font percevoir plus sucrés ou plus salés qu’ils ne le sont.
la vue
En fait, avant de goûter avec la bouche, la vue et l’odorat entrent en jeu pour préparer nos papilles et notre cerveau à analyser ce que nous allons goûter .
Selon une étude menée par des chercheurs anglais et espagnols, le goût de ton chocolat chaud changerait selon la couleur de ta tasse. L’expérience a été menée sur 57 volontaires. Ils ont goûté leur chocolat chaud dans des tasses de quatre couleurs différentes : rouge, blanche, orange et crème. Résultat : le chocolat avait meilleur goût dans les tasses orange et crème. En réalité, c’est ton cerveau, par le biais du regard, qui analyse très vite que le chocolat sera meilleur dans une tasse de couleur orange. Ton goût suit, dans un second temps, cette première information. Cela prouve quelque chose : nous ne mangeons pas seulement avec notre bouche, mais aussi avec nos yeux. C’est donc une question de perception ! D’ailleurs, une autre étude a prouvé que la simple vision d’un plat alléchant préparait ton cerveau à l’apprécier encore plus.
le cerveau
C’est un système nerveux composé du nerf trijumeau, qui se divise en trois branches dans la bouche, le nez, et les yeux –, autre acteur clé dans l’expérience du goût, souvent confondu lui aussi avec la gustation. C’est un élément essentiel pour détecter le chaud de la température des aliments, le pétillant d’une boisson et le piquant d’un piment.
la capsaïcine dans les piments va stimuler des récepteurs et provoquer ces sensations liées à l’activation chimique du système trigéminal à la fois au niveau de la bouche, mais aussi au niveau du nez.
La flaveur : dans le cerveau, s’opère une étape supplémentaire, qui s’approcherait de ce que nous évoque spontanément le goût, connue sous le nom de flaveur.
Charlotte Sinding explique : « il s’agit d’une étape d’intégration multisensorielle , notre cerveau va unifier les perceptions olfactives et gustatives, pour créer une représentation unique de l’aliment, plus ou moins complète, à laquelle on peut aussi ajouter les aspects trigéminaux, les émotions, la mémoire, qui va nous permettre d’identifier l’aliment. »
Les saveurs :
1/le sucré est la seule saveur reconnue immédiatement par les bébés. Il s’agit d’une saveur innée, associée à la douceur, et on croit souvent la ressentir sur le bout avant de la langue
2/ le salé est souvent ressenti sur les côtés de la langue et il permet d’améliorer l’intensité des saveurs des aliments
3/l’acide se ressent également souvent sur les côtés de la langue et il produit un réflexe spontané de grimace sur le visage
4/l’amer se situe toujours au niveau arrière de la langue ( on parle d’arrière-goût ) et laisse une sensation âpre,désaltérante,voir désagréable sur le fond de la langue.
5/ l’umami est la cinquième saveur,Il s’agit d’une saveur « délicieuse » associée à la présence de glutamate ( = un acide aminé présent dans toutes les protéines végétales et animales). Elle génère une forte salivation ,qui tapisse et se répand sur toute la langue , d’une sensation douce et ronde.Elle dure plus longtemps que les autres. L’umami accentue le côté savoureux et c’est un puissant exhausteur de goût. C’est pour cette raison que les industriels agro-alimentaires utilisent très fréquemment le glutamate ( additif = E 621) pour relever le goût des produits ultra-transformés.
Sa consommation n’est pas sans danger sur notre santé
Le microbiote de notre bouche modifie-t-il le goût ?
Il a été démontré que la salive assurait un rôle clé dans le goût. « Sans salive, la perception des saveurs serait considérablement altérée », explique Éric Neyraud, chercheur INRAE au Centre des sciences du goût et de l’alimentation (CSGA) et spécialiste de la salive et de son impact sensoriel. Il explore désormais le rôle du microbiote oral.
Dans une étude récente il a pu établir avec ses collègues un lien entre le microbiote oral et la perception du goût : les microorganismes présents dans la salive et sur la langue d’une centaine de participants ont été analysés et croisés avec leur sensibilité aux cinq saveurs. Les chercheurs ont découvert que les individus montrant des différences de sensibilité présentaient bien des populations de bactéries différentes dans leur salive. « La grande question qui se pose désormais est : est-ce que cela a vraiment une action significative sur le goût ? C’est ce que nous allons tenter d’éclaircir », précise-t-il.
